C'était prévisible: comme Nintendo, Sega ou SNK, Sony a voulu capitaliser sur la vague retrogaming qui redonne du lustre, ces dernières années, à quelques vieilles gloires de la planète jeux vidéo. A la différence de ses concurrents, cependant, la firme nippone n'est entrée dans la bataille qu'à l'heure des jeux en trois dimensions, avec sa séminale Playstation. Les polygones ont-ils la même patine que les pixels sur les écrans modernes? C'est le pari de la Playstation Classic, et il n'est pas certain qu'il soit remporté haut la main.
Mine de rien, c'est une sacrée question que vient poser la Playstation Classic. Comment définir le vintage dans la galaxie des loisirs numériques ? De toute évidence, le facteur temps est essentiel. Il n'est pas suffisant pour autant: des machines comme les premières Atari VCS, Colecovision, C64 et autres Vectrex, certes prisées des collectionneurs, ne connaissent de loin pas le même engouement que les consoles qui ont régné en maîtres dans les foyers durant les années 1980 et 1990, dominées par les géants japonais Nintendo et Sega. NES, Super Nintendo, Master System, Megadrive ou même SNK Neo Geo - une machine qui n'aura pas connu un succès grand public en raison de son prix exorbitant, mais restée dans toutes les mémoires - ont laissé dans leur sillage une nuée de fans nostalgiques. Ce qui a fait leur légende ? Leurs constructeurs, et quelques autres avec eux, ont à l'époque défini une grammaire ludique accrocheuse, où le gameplay se faisait simple et intuitif, où le graphisme, minimaliste, ne détournait jamais le joueur de son objectif premier: battre la machine à son propre jeu.
Cette simplicité érigée en vertu cardinale fait aujourd'hui la force de l'offre retrogaming sans cesse redécouverte par les nouvelles générations. Impossible de ne pas y être sensible, ces fondamentaux restant d'une lisibilité parfaite malgré le poids des ans. Les propositions ludiques de l'époque ont en revanche perdu cette force d'évidence lorsque la course à la technologie a déplacé les enjeux - et la bataille - vers un nouveau terrain: celui de la puissance brute et du réalisme à l'écran. Ce fut l'avénement de la génération des consoles 32 bits, incarnée par la Sega Saturn et la Sony Playstation. Ce fut, aussi, la naissance d'un mode de représentation en trois dimensions qui reste hégémonique aujourd'hui encore. Et là réside peut-être la double faiblesse de la Playstation Classic: loin de proposer un regard rétrospectif sur une technologie aboutie, comme c'était le cas pour les propositions vintage ressuscitant la 2D des années 1990, la machine souffre d'emmener ses adeptes aux racines d'un mode de représentation qui en était encore à chercher la meilleure façon de s'exprimer... Et il en allait de même pour son gameplay.
Un line-up qui souffle le chaud et le froid
La console commercialisée ces jours-ci par Sony, ainsi, se fait témoin d'une technologie en devenir. Il faut donc en admettre, d'emblée, les limites. Contrainte par une puissance de calcul autorisant à peine 360 000 polygones bruts à l'écran chaque seconde, la Playstation a donné naissance à des titres anguleux difficiles à apprécier, aujourd'hui, à l'écran. Si la petite Classic se fait généreuse sur le papier, permettant d'afficher ses vingt jeux proprement via une connectique hdmi de bonne facture, la machine invoque, ainsi, des titres qui ont connu un succès certain en leur temps, mais dont les évidentes faiblesses techniques et formelles se mesurent à l'aune de ce qu'est devenue la 3D. Particulièrement impressionnant lors du lancement de la Playstation, en 1994, le jeu de combat Battle Arena Toshinden est emblématique de ce problème: le jeu de Takara est clairement dépassé, plombé par une approche du mouvement dans la profondeur encore mal optimisée - on a aujourd'hui de quoi comparer, et même à l'époque, le titre a largement souffert de la sortie de Tekken et ses suites. Bon nombre d'autres titres présents dans le line-up de la Playstation Classic connaissent le même sort, de Coolboarders II à Jumping Flash, en passant par Twisted Metal, Revelations Persona, Rainbow Six et Syphon Filter, ou même le pourtant culte Resident Evil, redoutable survival-horror de Capcom dont on avait oublié combien il pouvait se faire rigide l'arme à la main.
Il n'en reste pas moins que la Playstation a su, aussi, faire avancer la cause de la 3D par des titres visionnaires qui ont sans doute posé les jalons du monde vidéoludique tel qu'on le connaît. Ces jeux-là restent d'une certaine actualité, et se dégustent toujours avec un vrai plaisir manette en main. Destruction Derby, Kurushi (Intelligent Qube), Metal Gear Solid, Ridge Racer Type 4 ou Tekken III... Ce sont de là de vraies petites pépites qui méritent d'être redécouvertes 25 ans après. Il en va de même pour les propositions 2D, qui n'avaient pas totalement déserté le support bien qu'elles fussent plus à l'aise sur Saturn, qui leur avait offert une architecture dédiée (ce qui aura d'ailleurs coûté cher à la machine, dans un marché porté par le goût de la nouveauté). Si l'excellent Grand Theft Auto souffre d'un gameplay dépassé, il n'en va pas de même pour les puzzle-games Mr Driller et Super Puzzle Fighter II, le jeu de réflexion Oddworld: Abe's Odyssey, la plateforme selon Rayman ou le fameux RPG Wild Arms. Enorme regret, en revanche, concernant la version de Final Fantasy VII embarquée par la console: c'est la version anglaise qui a été implémentée, alors que le titre avait bénéficié en 1997 d'une localisation de très belle qualité. La faute de goût qu'on aura peut-être le plus de mal à pardonner.
Témoin fidèle
A l'arrivée, on est donc partagé. D'un côté, la Playstation Classic se fait frustrante par bien des aspects, et notamment par un choix de jeux pré-chargés qui aurait pu lui être plus favorable -pourquoi, notamment, avoir omis d'inclure WipeOut dans cette proposition? De l'autre, subsiste le plaisir de toucher du doigt une époque qui, mine de rien, nous aura fait croire, pour la première fois, dans les promesses de l'ultra-réalisme contemporain. Sortie dans un contexte qui ne lui était pas franchement favorable, la console se fait en tout cas, quoique l'on en pense, témoignage assez fidèle de l'expérience vidéoludique telle qu'elle se vivait à l'approche des années 2000. A ce titre, la machine est légitime, et fera sens chez les nostalgiques (à défaut de convaincre les jeunes générations). Objet de collection avant tout, elle saura même sortir de son plastique à l'occasion, le temps d'une petite partie en versus (la boite embarque deux manettes de bonne facture) sur Tekken ou Puzzle Fighter lorsqu'un ami passera à la maison. Le coeur des papys gamers a ses raisons...